Machine Mass Sextet : Intrusion

Machine Mass Sextet : Intrusion

Off Records / MoonJune Records

On ne présente plus Michel Delville : guitariste talentueux et atypique, féru des recherches sonores sur l’instrument, fan de Zappa et de rock progressif. Il est le fondateur de « The Wrong Object » et de « Machine Mass », à l’origine un duo avec le batteur Tony Bianco auquel s’est joint pour l’album « Inti » le saxophoniste Dave Liebman. C’est un nouveau line-up qui apparaît pour « Intrusion », une fusion entre des éléments du « Wrong Object » (Antoine Guenet au piano et Damien Campion à la contrebasse) et de « Machine Mass » (Tony Bianco), plus deux souffleurs bien connus dans le paysage belge et européen du jazz actuel : Laurent Blondiau et Manu Hermia (qu’on a pu voir au Gaume Jazz 2020 avec le « Wrong Object »). Si le jazz-rock progressif est dans les gênes de Michel Delville, il nous rappelle d’emblée que dans son ADN, il ne faut pas oublier les figures de John Coltrane et de Miles Davis. Ainsi, servant de cadre aux compositions personnelles, on trouve en intro « Africa » et en clôture « In a Silent Way » (dont une version avec Dave Liebman existe déjà), deux pièces longues de plus de dix minutes. « Africa » s’ouvre sur une rythmique typiquement coltranienne avec un jeu touffu de batterie à la Elvin Jones, puis laisse l’espace aux deux souffleurs et enfin à la guitare ravageuse du leader. L’autre pièce importante par sa durée donne son titre à l’album : « Intrusion ». Une composition du pianiste Antoine Guenet, œuvre centrale de près de quinze minutes. Le piano seul introduit la pièce dans une lenteur quasi minimaliste à la manière d’un Cage ou Alban Berg, avant l’entrée des souffleurs qui poursuivent dans le même esprit. Puis revient de nouveau, le piano serein et profond sur un tapis sonore créé par la guitare. Du grand art, la pièce maîtresse de l’album assurément. « Not Another Loud Song », une composition de Michel Delville, se développe sur un tempo lancinant et joue sur les textures sonores des sourdines de la trompette et de la guitare. Après le très beau solo de Damien Campion, « The Roll », autre thème du guitariste, s’inspire lui du quintet de Miles époque Wayne Shorter, influence qu’on pressent autant dans les interventions du saxophoniste que du pianiste, voire dans les stridences de la trompette. En coda, « In A Silent Way » dans une version difficilement reconnaissable, en tout cas bien différente de celle avec Dave Liebman, fait en quelque sorte allégeance au grand Miles, un lien lumineux entre les univers zappesques ou hendrixiens de Delville. Voilà un album aux nombreuses références, dont la cohésion d’ensemble est indéniable et dont l’originalité tient aussi au jeu de guitare de Michel Delville, véritable coloriste qui crée sur chaque pièce une toile de fond sonore discrète, mais redoutablement efficace. Toujours sensible aux univers de Michel Delville, oserais-je écrire que cet album est le plus abouti de sa discographie ? Yes !

Jean-Pierre Goffin