Valentin et Théo Ceccaldi : Constantine

Valentin et Théo Ceccaldi : Constantine

Brouhaha / L’Autre Distribution

« Constantine » est le nouveau projet des frères Ceccaldi, Théo le violoniste et Valentin le violoncelliste. Un album dédié à leur père Serge, né en Algérie en 1960. Deux ans plus tard, c’est la décolonisation et la famille, installée là depuis quatre générations, doit partir. Il faut tout quitter : le soleil, le petit magasin de couteaux. Serge Ceccaldi vit ce départ comme un exil vers un pays qu’il ne connaît pas. De ce déracinement naîtra un désir de connaître ses origines. Il aborde alors la musique en autodidacte, à la recherche de la tradition orale et des musiques originales, ce qui l’amènera à composer pour le théâtre. C’est une dizaine de ces thèmes destinés au théâtre que les deux frères ont décidé de revisiter et d’arranger de manière très personnelle et originale, avec la complicité du Grand Orchestre du Tricot, ceci en vue « de jeter des ponts entre les musiques ». Autour des deux frères, on retrouve les deux saxophonistes, Quentin Biardeau et Gabriel Lemaire, Guillaume Atkine aux guitares, Roberto Negro au piano et aux claviers, Adrien Chennebault et Florian Satche à la batterie et aux percussions. Au fil des thèmes, les frères Ceccaldi accueillent des invités. Sur « Ampsaga » et « Sous les plis de l’aurore » empreint de mélancolie, l’orchestre est rejoint par  la voix de  Leïla Martial qui « joue de la voix comme on joue d’un instrument ». Une voix frêle et ondulante, aux inflexions orientales, qu’on avait découverte au sein de l’actuel ONJ (album « Rituels ») et et du Fil Duo  avec Valentin. « La règle du scarabée » met en évidence la voix de Thomas de Pourquery (leader du Supersonic, ex Mega Octet et chanteur pour le Red Orchestra en vue de l’album « Broadway ») sur un texte de Robin Mercier, qui avait collaboré avec le Grand Orchestre du Tricot  pour le projet  « Atomic Spoutnik ». La mélodie chantée par de Pourquery est traversée par les incursions orageuses de l’orchestre puis ponctuée par l’alto de l’invité. « Le retour des perdrix » apparaît comme un apaisement après l’orage… Le violon de Théo se mêlant à la clarinette  de Yom, musicien qui a revisité la musique klezmer, comme les musiques classique et contemporaine et qui a enregistré « Le silence de l’exode » avec B. Chemirani. au zarb. « Une bonne dose de vent » est interprétée par le chanteur-performer Fantazio, qui a côtoyé Joëlle Léandre, Yves Robert et le batteur Denis Charolles (« La vie moins chère »). Le texte est récité sur une trame de guitare basse jouée par Valentin Ceccaldi. « Falak, Falak (le serpent des mille et une nuits) » est basé sur le chant psalmodié de l’Egyptien Abdullah Miniawy qui a collaboré avec Yom et Erik Truffaz. Sur « Sigognac », on retrouve le saxophone soprano d’Emile Parisien, tout en volutes orientales, hypnotisant ! Sur « La trace du papillon », après une intro vibrante de l’orchestre, on retrouve la trompette tout en douceur d’Airelle Besson. Elle est la seule plage sans invité. On y découvre la magie du piano de Roberto Negro suivie par une montée en puissance des saxophones de Biardeau et Lemaire et du violon. « Et même le ciel », la plage que je préfère personnellement, permet au bandonéon de Michel Portal de nous plonger en plein univers du tango argentin. D’abord gorgé de saudade, ce bandonéon, en accord avec la violence du violon, se lance dans de fiévreuses explosions rythmiques et mélodiques, ponctuées ensuite par la clarinette basse de Portal. Enfin, « Horizon fantôme » repose sur un texte de Robin Mercier soutenu par la basse électrique de Valentin et la guitare d’Aktine. Un questionnement à propos de l’exil et de la crise identitaire : « qui suis-je? ». « Constantine » est un projet parfaitement abouti qui s’ouvre sur un dialogue constant entre l’univers chamarré du Grand Orchestre du Tricot et une série d’invités qui, tous, ont réussi à se fondre dans cet univers. Une musique remplie aussi d’une réelle émotion et d’une vraie réflexion. Une belle réussite.

Claude Loxhay